Mariana Stjerna est une écrivaine suédoise, claivoyante et clairaudiente, très respectée. Son style d’écriture inspire le respect de par la facilité qui s’en dégage. Elle est clairvoyante et clairaudiente depuis l’enfance et a écrit plusieurs livres sur des sujets spirituels. Elle fut enseignante, puis, plus tard, donna des cours de développement spirituel et de sagesse.
Jusqu’à présent, Mariana a publié dix-huit livres, dont six ont été publiés en anglais, deux en français et certains autres en d’autres langues : Agartha – The Earth’s Inner World, Agartha – le Monde intérieur de la Terre, On Angels’ Wings, Mission Space, Mission vers l’Espace – de l’Agartha aux Etoiles, The Bible Bluff, The Invisible People et Time Journey to the Origin and the Future.
Sommaire
1. Sauvés par des Êtres venus de la Terre Intérieure
2. Agartha – Un paradis à l’intérieur de la Terre
3. Une mission importante pour Tim
4. Triste nouvelle à Seattle
5. Le voyage en Suède
6. Une mission impossible
7. La nouvelle famille de Tim
8. Retour sous Terre
9. Une visite de Telos et de ses environs
10. De belles retrouvailles et une nouvelle connaissance
11. Un voyage fascinant
12. Un vrai dragon vivant !
13. Nancy et Ellie rentrent chez elles
14. Rencontre avec Saint Germain
15. Bâtiments magiques
16. Shamballa – Un paradis à l’intérieur de la Terre
17. Une rencontre passionnante avec des animaux sauvages
18. L’Union de l’Amour
19. Retour à la normalité en tant que touristes à l’Agartha
20. Le but des animaux de compagnie
21. Début des leçons
22. Le Temple de la Croyance et rencontre avec Melchizédek
23. Visite chez la belle-famille
24. Le cardinal du Vatican
25. Festivités à l’Agartha
26. Visite d’un orphelinat agarthien
27. Comment va changer la Terre
28. La Sagesse indienne et le Feu de la Vie
29. Le cadeau de la Vieille Mère Sjaluna
30. Avec les Aborigènes
31. Le berceau de l’humanité, l’Afrique
32. Une Chine complètement différente
33. Une autre rencontre avec Saint Germain
34. La Maison de la Transformation
35. Épilogue de l’auteure
1. Sauvés par des Êtres venus de la Terre Intérieure
Une évasion au cœur de l’éternité, ou en provenance de l’éternité ? J’ai émergé de ma séance de méditation avec cette pensée précise.
J’étais peut-être endormie ou éveillée. Il est parfois difficile de faire la différence entre le rêve et la réalité. On peut réellement ressentir la réalité dans notre sommeil. Les choses intangibles y deviennent tangibles. Pour moi, ce fut un étrange voyage. Et pour moi, c’est devenu la réalité. Mais vous êtes libres de douter de mon histoire, aussi longtemps qu’elle n’aura pas été prouvée. Je n’en ai aucune preuve… pour le moment !
Un grand jeune homme aux cheveux clairs, aux yeux bleus éclatants, aux traits réguliers et à la bouche bien formée – un beau jeune homme, en fait – apparut alors que je méditais. Il se mit à parler, et dans ma tête, je pouvais entendre chaque mot qu’il disait. J’étais stupéfaite !
– Salut Mariana ! dit-il. Je m’appelle Timothy, mais on m’appelle Tim. Mon nom de famille est Brooke. Je viens de Seattle, aux États-Unis, mais j’ai « émigré », et vis actuellement à l’intérieur de la Terre. Vous ne me croirez probablement pas au début, mais je pense que je peux vous convaincre. C’est ma mission. Il est temps que les gens à la surface de la Terre sachent que nous existons. Voici donc mon histoire.
* * *
Mon père était capitaine de la marine. Il possédait un petit cargo qui faisait du commerce le long de la côte entre Seattle et Vancouver, au Canada. J’ai été élevé comme marin, plus ou moins contre mon gré, bien que ma mère s’opposait à ce que j’aille en mer. Elle était déjà suffisamment inquiète avec mon père, et ne voulait pas l’être davantage.
Elle était suédoise et mon père d’origine britannique. C’est pourquoi je suis bilingue. Ils se sont rencontrés lors d’une croisière au milieu du 20e siècle. Puis, je suis né, et ma sœur un peu plus tard. Ils sont tous les trois morts à l’heure où je vous parle, et j’ai survécu à un naufrage alors que j’avais dix-neuf ans. Malgré les larmes et les supplications de ma mère d’aller au lycée plutôt qu’en mer, j’étais, à cette époque, le second de mon père. Il était un homme déterminé et juste, et je l’aimais.
Une terrible tempête s’est abattue sur nous, sans relâche, avec des vagues hautes comme des maisons. Notre petit bateau avait déjà essuyé des tempêtes auparavant, mais celle-là était aussi violente qu’un volcan. Nous étions près de la côte, qui était rocheuse et inaccessible. Mon père voulait jeter l’ancre le plus près possible de celle-ci, aussi avons-nous mis le cap vers la terre ferme. Nous transportions des troncs d’arbres ce qui nous rendait lourd. Nous n’avions parcouru que peu de distance quand nous fûmes pris dans un tourbillon qui souleva le bateau comme une feuille par le vent pour le projeter contre la falaise la plus proche. Je me souviens d’un terrible choc et du visage sévère de mon père tout proche du mien.
– Je t’aime, mon garçon, cria-t-il, les larmes aux yeux. Si nous sortons vivants de cette tempête, je ne te forcerai plus jamais à prendre la mer.
Ce furent ses derniers mots. Le bateau fut éventré et je me suis retrouvé à l’eau, agrippé à un tronc d’arbre flottant sur les vagues froides. Je me souviens m’être évanoui. Mon père était décédé, et les quatre autres membres de l’équipage avaient disparu.
Soudain, je sentis une présence humaine à proximité, et un bateau me transporter, sans gîter, vers l’avant. Était-ce la mort ? J’étais allongé au fond du bateau et ai essayé de me redresser sur les coudes, mais en vain. Un visage amical aux traits nets et aux cheveux longs et clairs se pencha sur moi. Au début, je ne pouvais dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme. Puis, j’ai vite compris que c’était un homme.
Le bateau pénétra dans une sorte de tunnel bien éclairé et décoré de peintures. Peu de temps après, nous nous amarrions à une jetée. L’homme blond, ainsi qu’un autre aux cheveux noirs, me soulevèrent pour m’aider à accoster.
– Où suis-je, où est mon père ? Où sont les autres membres de l’équipage ? Le bois a-t-il coulé ? Les questions jaillissaient de ma bouche à toute vitesse.
– Ni ton père, ni l’équipage n’ont pu être sauvés, et la cargaison est perdue. Tu t’étais accroché à un tronc d’arbre qui t’a amené directement à nous. Cela t’a sauvé la vie. Nous étions à la recherche de navires naufragés à cause de la tempête. Tu es à l’intérieur de la Terre maintenant. Bienvenue à toi ! L’homme parlait parfaitement anglais.
– Je suis Mannul Zerpa, et je t’emmène dans notre monde pour que tu te reposes.
Quand j’étais plus jeune, un vieux marin me racontait beaucoup d’histoires. L’une d’entre elles parlait d’un monde qui existait à l’intérieur de la planète Terre, et cela me fascinait complètement. Je pensais, bien sûr, qu’il s’agissait d’un simple conte de marin. Et pourtant, je m’y tenais, là, au beau milieu de ce conte ! Je me suis pincé très fort pour m’assurer que je ne rêvais pas. Cela ne pouvait être vrai – et pourtant ça l’était.
– Quand pourrai-je retourner à Seattle ? demandai-je.
– Tu devras en parler plus tard avec quelqu’un d’autre que moi. Regarde autour de toi ! Tu marches sur la terre ferme.
La lumière était étrange quand nous sommes sortis du tunnel, ou plutôt du trou dans la roche où le bateau était amarré – une lueur étrange dans un paysage estival étrange. J’avais quitté Seattle par un sombre matin de novembre, venteux et bruineux. Il y avait des feuilles sur le sol, et le ciel était gris.
Ici, l’air était clair, avec un soleil accueillant qui rayonnait sur nous. De magnifiques fleurs bordaient notre chemin. On pouvait voir des arbres et des buissons verts un peu partout. C’était comme un beau matin dans une forêt canadienne. Je m’étais déjà rendu de nombreuses fois dans des forêts comme celle-ci avec mon père et mon oncle quand j’étais plus jeune, mais celle-là semblait moins dense, plus légère d’une certaine façon, et plus fleurie.
– Nous arrivons au village où tu vas demeurer, m’annonça mon sauveur blondinet, avec un sourire. Mon sauveur, littéralement !
– Je dois vous remercier, bégayai-je. Vous m’avez sauvé la vie. C’est juste que je me sens un peu perdu. Je suis bien à l’intérieur de la Terre, sous le sol, dans une sorte de village au milieu d’une zone agricole ?
– Tu en sauras plus quand nous y serons, me répondit Mannul. J’ai sauvé beaucoup de gens de la noyade. Votre navire n’est pas le seul à avoir sombré à l’extérieur de ces montagnes. Mais c’est seulement la mer là-bas qui est traître, celle qui appartient à la Terre extérieure. Ici, elle est calme, et c’est toujours l’été.
Je dus me contenter de cela.
Nous marchâmes à travers le plus beau paysage que j’eusse jamais vu, avant d’atteindre un village avec de hauts bâtiments ronds. Ils semblaient étrangement lumineux, probablement à cause des pierres avec lesquelles ils étaient construits. J’entendais le chant des oiseaux dans les arbres luxuriants, et je vis des écureuils et un petit lièvre se faufiler derrière une touffe d’herbe. C’était à la fois comme la Terre extérieure, et pourtant très différent. C’était, d’une certaine manière, trop parfait, comme dans un film !
Les maisons entouraient ce qui semblait être une petite place de marché, avec un puits au centre. Nous entrâmes dans l’une d’elles. Un hall avec un toit arqué menait à une pièce semi-circulaire avec des fenêtres du sol au plafond. Le mobilier de la pièce était ce que je qualifierais de moderne – des chaises et des tables confortables et joliment conçues, et pourtant différentes de celles de la surface de la Terre. Tout brillait, comme si les meubles eux-mêmes et les murs qui l’entouraient étaient vivants. Et le toit ! Il n’existait pas ! Il était ouvert en haut, la lumière du soleil filtrant délicatement à travers des feuilles et des branches tressées.
Mannul me fit signe de m’asseoir sur un canapé près d’une des fenêtres non vitrées, d’où je pouvais voir la vue étonnante qu’on avait sur l’extérieur. L’homme sympathique à la chevelure blonde disparut après avoir placé une tasse devant moi. Il reviendrait bientôt, dit-il. Il me demanda de boire le contenu de la tasse avant son retour.
Je goûtai la boisson. Elle était délicieuse, tel un vin léger avec une touche de miel. La première gorgée me traversa le corps comme une flèche de feu, et je me repris aussitôt. Bon sang, me suis-je dit, je vais être saoul ! Mais je ne le fus pas, même après avoir tout bu. Cependant, je ressentis une intense clarté de pensée et un grand bien-être.
Quand Mannul revint, il n’était pas seul. Il était accompagné d’un homme qui mesurait au moins deux mètres cinquante. Il avait les cheveux bruns, longs et brillants et était rasé de près. Ses yeux particulièrement grands et magnifiques étaient ceux d’un visage jeune, et pourtant j’eus le sentiment qu’il était plus âgé que le temps lui-même ! Je me suis levé poliment et me suis incliné. Il me sourit amicalement, puis me serra dans ses bras.
– Bienvenue au Pays des Merveilles souterrain, Timothy, me dit-il. Je sais comment tu es arrivé ici, et je vais te dire maintenant où tu te trouves.
– Êtes-vous un Maître de Sagesse ? l’ai-je interrompu. J’ai entendu dire que de telles personnes vivent à l’intérieur de la Terre. L’homme rit de bon cœur.
– Il y a de la sagesse partout, jeune homme, répondit-il. L’homme qui se croit sage est stupide. La stupidité essaie toujours de tromper la sagesse. Mais si tu cherches la sagesse, tu n’as qu’à regarder attentivement autour de toi. La nature est pleine de sagesse, mais les habitants de la surface font de leur mieux pour la détruire.
– Alors, qui êtes-vous ? demandai-je, curieux comme à mon habitude.
– Je m’appelle Dariel. Tu n’as pas besoin d’en savoir plus pour l’instant. Je suis l’un des neuf membres du Comité. Nous te souhaitons la bienvenue, et nous nous demandions si tu aimerais rester quelques jours en tant qu’invité d’honneur de la surface.
Je me suis à nouveau incliné et ai accepté l’invitation. On ne refuse pas une telle invitation.
– M’aiderez-vous ensuite à rentrer chez moi ? demandai-je. Ma mère risque de s’inquiéter en pensant que je me suis noyé comme les autres.
– Oui, nous t’aiderons à rentrer chez toi, si tu veux toujours y retourner. Dariel me regarda longuement et de façon perçante. Nous ne forçons personne à rester ici, mais rares sont ceux qui rentrent chez eux ; et ceux qui le font ne sont jamais crus quand ils parlent de nous.
– C’est un endroit agréable à vivre. Nous ne nous battons pas pour l’argent, et la plupart de nos besoins sont pris en charge. Nous nous renseignons régulièrement de ce qui se passe à la surface et au sujet de ses habitants. Nous savons que leur supposé développement n’a apporté que des désastres. Tout est plus facile ici. Vous allez adorer.
Dariel se pencha et me prit les mains. Il me regarda droit dans les yeux, et je fus soudainement rempli d’une paix intérieure indescriptible. J’étais encore profondément affecté par la disparition de mon père, et ma mère et ma petite sœur Littl’un me manquaient. Mais, en un instant, le chagrin et le manque s’atténuèrent. Je voulais en savoir plus sur ce pays étonnant où je me trouvais. Ce fut comme si j’avais été doucement caressé par l’aile d’un ange, me rendant heureux et en paix. Je pouvais entendre une musique douce au loin ; en rien semblable à la musique moderne de la surface, mais plutôt proche de celle de Mozart ou d’un des anciens virtuoses de la musique classique.
– Mannul va te faire visiter nos frontières dans quelques jours. Tu iras d’abord à Telos, là où les habitants de la surface arrivent quand ils se retrouvent par accident dans notre monde.
– Timothy, je suis ton ami. N’hésite pas à me contacter si tu as besoin de réponses à tes questions ou d’une aide quelconque. Nous nous reverrons le moment venu.
2. Agartha – Un paradis à l’intérieur de la Terre
– Un pays où le chagrin n’existe pas ! m’exclamai-je, alors que Mannul me guidait à travers un village ayant la forme d’un immense sourire. Mannul sourit également.
– Tu as raison, me répondit-il. Mais la plupart des gens qui vivent ici sont des gens ordinaires comme toi et moi. Il y a du chagrin, mais il est traité différemment. Vous lui permettez de vous dominer, alors que nous prenons le contrôle de la douleur et des déceptions. Des mains amicales se tendent à vous quand vous avez besoin d’aide – qu’elle soit physique ou psychologique.
« Vous n’avez pas découvert la joie qu’apporte le fait de s’entraider à la surface de la Terre. Vous ne pensez qu’à l’argent. Toute aide coûte de l’argent, et tout le monde ne peut pas se le permettre. Mais Tim, tout le monde a un cœur, et cela ne coûte rien. Il suffit de l’écouter. Ton cœur te donne de bons conseils, mais tu dois pouvoir parler le même langage. L’expérience et la connaissance t’aideront.
Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite ; tout est allé si vite ! Mannul m’a tenu la main et j’ai eu l’impression d’être un enfant de sept ans, à la fois inquiet et impatient, allant à l’école pour la première fois. Je n’ai pas eu beaucoup de temps pour voir le paysage qui défilait. À un certain moment, il semblait y avoir de l’eau sous l’endroit où nous nous trouvions, avec de petites oies blanches (comme on les appelait chez moi) qui oscillaient sur une eau bleu foncé. Puis est apparu un beau sable doré sur des plages, et finalement de l’herbe vert émeraude. Enfin, dans un léger bruit sourd, nous sommes arrivés sur la terre ferme.
– Regarde autour de toi ! s’exclama Mannul.
Ce que je fis immédiatement. Si Mannul ne m’avait pas tenu la main, je me serais probablement évanoui. Ma confusion était tout à fait justifiée. L’air et les environs étaient vivants – non pas avec une respiration paisible et éternelle, mais complètement tangible, vivante et presque sauvage. Chaque buisson, chaque arbre, chaque fleur produisait un bruit, à la limite de la cacophonie. Des petites personnes naviguaient sans heurts, allant et venant, de façon circulaire. Elles serpentaient entre les plantes, glissant sur elles ou pénétrant en leur intérieur.
La prairie d’été était vivante à plus d’un titre.
Les élémentaux et les habitants cohabitaient en ce lieu. Je pouvais voir des personnes – des adultes comme des enfants – et j’entendais de la musique entraînante. Tout le monde dansait.
– Sont-ils en train de danser en plein milieu de la matinée ? demandai-je, légèrement choqué par un tel enthousiasme si tôt dans la journée.
– Bien sûr ! répondit mon guide, me regardant comme si j’étais bizarre. Quand quelqu’un veut danser au travail, on organise une petite fête dansée et on chante.
– Est-ce que le travail avance malgré tout ? me suis-je aventuré à demander.
– Plus que si on ne dansait pas, me répondit-il. J’ai soupiré. C’était un autre pays, et j’avais besoin d’être ouvert à toute nouvelle idée ou concept. Tous les pays ont leurs propres coutumes, et c’était aussi vrai à l’intérieur de la planète qu’à l’extérieur. Il y avait d’énormes différences.
Nous restâmes un moment à regarder la danse. C’était vraiment comme de la danse folklorique, même si je ne connais que les danses folkloriques canadiennes et suédoises ; je ne prétends donc pas être un expert en la matière. Les musiciens dansaient tout en jouant, de leurs violons et autres instruments que je ne connaissais pas, de la musique folklorique ressemblant à celle de Dalécarlie, en Suède, où vivait ma grand-mère. Je ne lui avais pas rendu visite depuis plusieurs années, mais je me souvenais à quel point la Suède était un merveilleux pays en été. C’était similaire, avec l’ivresse et les bagarres en moins.
Je regardai Mannul avec curiosité et, en riant, il me prit la main pour m’entraîner à valser parmi les danseurs. Bien vite, je me trouvai à tenir la main douce et féminine d’une jeune fille souriante qui me fit tournoyer. Mais la danse finit pas s’arrêter malgré mon désir de continuer. Mon guide “du monde de l’intérieur” me tira hors du cercle de danse.
– Nous devons continuer ! s’exclama-t-il, en riant face à mon expression de déception. Un paysage tout à fait charmant passa devant mes yeux ravis, et nous arrivâmes dans un village. Il y avait moins de maisons, mais toutes construites dans le même style façon ruche, comme je le nommais, bien qu’elles étaient plus rondes que des ruches et sans toit. Je me suis demandé s’ils connaissaient la pluie, les orages ou la neige ici.
– Non. Mannul lut dans mes pensées (il faisait ça aussi !). Nous avons un climat parfait ici. Nous avons ce que vous appelleriez un début d’été toute l’année, et une floraison presque constante.
– Comment se fait-il que vous ayez un climat parfait alors que nous avons de la pluie, de la neige et des tempêtes sur Terre ? demandai-je, surpris.
– Est-ce que notre climat ne s’infiltre-t-il pas en quelques endroits chez vous ? s’esclaffa Mannul. Je ne comprenais pas pourquoi il riait. Il y avait un banc à proximité, et il me fit signe de m’asseoir. C’est ainsi qu’il m’expliqua l’incroyable climat souterrain :
– Tout est une question de croyance, dit-il. Nous nous sentons complètement en sécurité ici. Il n’y a ni peur, ni inquiétude, ni mal, ni envie ou jalousie. Nous avons appris à vivre en toute sécurité et à croire en une Force éternelle qui est toujours là pour nous aider et nous protéger. La négativité perturbe la basse atmosphère et la stratosphère. Les variations météorologiques sont le reflet des formes-pensées.
« La destruction à la surface de la Terre entraînent les forces météorologiques à être tout aussi destructrices. Elles sont affectées par l’ambiance sur Terre, qui est loin d’être harmonieuse. Il y a un conflit religieux. L’envie et la suspicion, alimentées par l’argent et la drogue, détruisent plutôt qu’elles ne construisent. Si nous pesons le bon et le mauvais sur Terre, mon cher Tim, le bon perd à chaque fois. »
– Bonté divine ! m’exclamai-je avec incrédulité. Tu ne veux pas dire que le temps dépend de la façon dont les gens pensent ? Le temps est forcément régulé par d’autres forces. (Je ne pouvais penser à rien d’autre qu’au Service Météorologique National (ndt : Météo France), mais j’avais l’impression que ce n’était pas tout à fait ce que je voulais dire dans ce contexte).
– Ici, on pourrait dire que nous sommes comme sur les genoux de la Terre, dit Mannul en souriant. Cela représente en soi la sécurité, car vos conditions défavorables ne peuvent pénétrer l’épaisse croûte qui nous sépare. Nous honorons, remercions et caressons, au sens premier du terme, la Terre Mère chaque jour, et, en retour, elle nous offre protection et amour. Vous, les habitants de la surface, vous sentiriez mieux si vous vous concentriez sur vos homologues de l’Agartha (le nom de ce monde intérieur) et preniez des forces d’ici lorsque vous êtes déprimés ou perturbés. Si seulement vous nous demandiez de la force.
– Nous ignorons votre existence, lui répondis-je amèrement. Comment pouvons-nous demander de l’aide à quelqu’un dont nous ignorons l’existence ?
– Alors il est temps pour nous de nous faire connaître des gens de la surface de la Terre, répondit-il. Mais nous ne voulons pas encourager ceux qui sèment les graines de la dissidence et de la discorde. C’est pourquoi nous nous sommes coupés de la surface pendant si longtemps. Et, au fait, qu’en est-il de ce Dieu que vous adorez ? Il est adulé dans le monde entier. Vous le priez, vous faites la guerre en son nom, vous vous disputez à son sujet et vous lui faites porter tous les torts. Quel genre de religion est-ce là ? Vous pensez peut-être que c’est logique, mais pas nous. C’est pourquoi il serait difficile d’autoriser les terriens à venir ici, à moins qu’ils ne soient spécialement choisis, ou qu’ils arrivent comme tu l’as fait.
– Je veux retourner à la surface et parler de vous à tout le monde, ai-je dit.
Mannul hocha simplement de la tête et m’aida à me lever du banc.
Il ne semblait pas y avoir beaucoup de gens dans ce village. Des enfants jouaient à peu près de la même façon que ceux de la surface. Il y avait des bacs à sable et des balançoires ; des adultes s’occupaient d’eux.
On pouvait voir des piscines où les enfants nageaient. Elles étaient fantastiques, avec des toboggans comme les enfants adorent. Une végétation feuillue entourait de petites pentes sablonneuses sur lesquelles les enfants pouvaient glisser pour tomber dans l’eau. Des marches de pierre sinueuses permettaient de s’amuser à monter et descendre, et bien plus encore. Les enfants semblaient vivre dans un pays de conte de fées.
– Il y a de nombreux enfants ici… constatai-je. Je me suis alors demandé comment ils étaient arrivés en ce lieu, mais n’ai pas osé le demander. Mannul éclata de rire, réaction à laquelle je commençais à m’habituer.
– Écoute-moi, jeune homme ! s’exclama-t-il d’une façon un peu sauvage avant de continuer. As-tu besoin d’enseignement sexuel ? C’est exactement la même chose ici qu’à la surface. Mais ici, on appelle ça l’Amour, ce qui est rare là-haut. Le sexe y est dépravé. Ici, c’est quelque chose de positif que nous respectons. Nous ne nous marions pas, mais célébrons une ‘union’ du corps et de l’âme. Et une union est toujours une bonne excuse pour faire la fête.
– Infidélités, erreurs, indiscrétions, divorces… ? poursuivis-je.
Mannul éclata à nouveau de rire en répondant : « Tu t’es encore trompé, mon fils. Ces mots n’existent pas dans notre vocabulaire. Là-haut, vous vivez comme si vous n’étiez que des corps. Nous sommes des âmes avec un niveau de conscience beaucoup plus élevé. Mais nous nous amusons autant que vous – la différence est que nous restons ensemble toute notre vie. »
– Pendant des centaines d’années, dis-je en riant. Vous avez vraiment le temps de vous lasser l’un de l’autre. Vous devez essayer des choses différentes… même sexuelles, non ?
– Je ne vois pas pourquoi, répondit-il Mannul, qui ne semblait pas vraiment comprendre. Ce n’est pas comme ça que l’Amour fonctionne ici, de toute façon. Allez, continuons. Nous allons nous rendre à une sorte de symposium qu’ils organisent sous le Mont Shasta à Telos. Ils échangent des idées au sujet des habitants de la surface, aussi je veux que tu viennes avec moi.
J’étais rempli de curiosité. Peut-être pourrais-je atteindre la surface de la Terre à partir de ce lieu. Pourtant, le Mont Shasta était en Californie, et je voulais rentrer à Seattle. Il y avait sûrement des vols, mais je n’avais pas d’argent, réflexion que je partageai avec mon guide.
– Ne t’inquiète pas, mon fils. On trouvera une solution. Si tu veux rentrer chez toi et que les autres sont d’accord, nous trouverons de l’argent pour ton voyage. Une chose à la fois.
J’ai alors pensé à la fille incroyablement mignonne avec laquelle j’avais dansé et commençai à envisager de rester. Mannul lut facilement dans mes pensées, me regarda simplement d’un air pensif et sourit.
– Elle s’appelle Sisilla, dit-il.
3. Une mission importante pour Tim
Le reste du voyage se fit en aéroglisseur, nom donné aux véhicules volants, et fut très rapide. Je n’eus pas beaucoup de temps pour voir ce qui m’entourait ; je ne pus qu’entrevoir rapidement les montagnes, forêts et lacs environnants. C’était beaucoup plus amusant que de voler en avion. Nous atterrîmes dans le canal avec quelques éclaboussures. Sans grand bruit, en douceur, comme une danseuse dans le Lac des Cygnes.
Je vis enfin une maison qui ressemblait à une vraie maison. Elle était basse, allongée et ronde, mais là non plus, je ne pouvais y voir de toit. Elle était d’un rose scintillant – plutôt inhabituel pour une maison. Tout autour se trouvaient des massifs de fleurs magnifiquement disposées, de toutes les couleurs imaginables.
– Voici ce que tu appellerais l’Hôtel de Ville ou la mairie. Nous l’appelons la Maison de Réunion. Parfois, nous y organisons des réunions de planification et y mettons en place un service d’aide. C’est là que tu pourras demander de l’aide pour rentrer chez toi.
Nous y entrâmes et je fus impressionné par la beauté de l’intérieur. Les murs étaient peints avec de belles représentations de la nature, et entre les dalles du sol poussaient des plantes basses et vertes avec des fleurs blanches et jaunes. De grandes formes humaines, gracieuses et légères se déplaçaient un peu partout.
Nous montâmes un escalier en colimaçon situé au centre de la pièce. Le bâtiment n’avait pas de toit, et le dernier étage était en fait une sorte de plateforme suspendue. Elle ne bougeait pas, ce qui était une bonne chose car j’aurais eu le vertige. Mannul sourit, prit mon bras et me conduisit dans une grande pièce spacieuse, aérée et apparemment flottante. Il y avait là neuf personnes, hommes et femmes. Ils étaient assis sur des chaises confortables, positionnées en cercle avec une petite table verte placée devant chacun d’eux. Il y avait des fleurs partout. Les murs étaient faits de branches tressées, certaines avec des fleurs sublimes.
Quand ils nous vîmes, quelqu’un nous apporta deux chaises et nous demanda de nous asseoir. C’était parfait, car mes jambes étaient comme du coton. Je remarquai une personne vénérable assise au centre ; ses yeux bleus me fixaient. Ses cheveux et sa barbe étaient longs et blancs, mais son visage n’était pas ridé ; il avait l’air jeune et heureux. Il leva la main pour me saluer, et je fis de même.
– Bienvenue, jeune homme de la surface de la Terre, me dit-il en anglais, d’une voix claire. Je suis Arniel, le responsable du symposium. Nous espérons que tu es heureux et que tu resteras avec nous.
– Je suis impressionné et ravi par tout ce que j’ai vu, lui répondis-je. Cependant, ma mère et ma sœur me manquent, et j’aimerais rentrer chez moi et leur rendre visite avant tout. Ensuite, j’aimerais revenir ici définitivement.
– Ton souhait sera exaucé, dit Arniel. En revanche, il y a une condition. Nous voulons que les gens de la surface sachent que nous sommes ici. Nous sommes favorables à ton retour parmi nous, mais tu dois d’abord faire connaître notre existence.
– Ils ne me croiront jamais, marmonnai-je, mais Arniel leva la main.
– N’abandonne pas, quoi qu’ils pensent. Si tu rencontres des difficultés, nous viendrons à ton secours. Il est temps de dire aux gens de la surface que nous existons ici et qu’ils ne sont pas seuls. Nous ne désirons pas prendre part à leur pollution ou autres souffrances. Fais-le bien savoir. S’ils continuent dans ce sens, ils causeront leur propre anéantissement, leur extinction totale. Cela n’affectera pas la planète en elle-même, seulement les personnes. Ce sera grave, et c’est pour bientôt.
– Ne pouvons-nous pas être sauvés ? demandai-je, terrifié.
– Nous l’espérons. Nous travaillons dans le but d’aider la Terre, car nous pourrions être également impactés. Tu dois être notre messager, Timothy.
– Je ferai de mon mieux, bégayai-je.
L’impressionnant Ancien me tendit un petit sifflet. « Si tu as des ennuis, souffle dedans. Tu n’entendras rien, mais le signal nous atteindra à la vitesse de la pensée. Ne le perds pas. »
Je me suis incliné et je les ai remerciés encore et encore jusqu’à ce qu’Arniel, riant, m’arrête de la main. « Ne t’inquiète pas pour l’argent, mon fils. Mannul t’en donnera beaucoup. Tu auras peut-être besoin de rester un certain temps à la surface. Il t’emmènera jusqu’au portail du Mont Shasta. »
Mannul tira alors sur ma manche, et je m’inclinai un peu plus rapidement cette fois-là. Je n’eus pas le temps de voir qui étaient les autres personnes assis en face des tables vertes, mais j’étais sûr de ne pas les connaître. Je me sentais profondément étourdi.
– Tu auras besoin de vêtements adaptés, indiqua Mannul, en regardant ma fine chemise blanche et mon pantalon bleu serré. Il me fit sortir du bâtiment, dans une ruelle étroite, et m’emmena directement chez un tailleur. Ce ne pouvait pas être un autre endroit ; il y avait des vêtements suspendus partout. Un homme apparut et salua chaleureusement Mannul.
– Apporte à ce garçon de beaux vêtements, demanda mon guide. Donne-lui un sac rempli de tout ce dont il aura besoin pour une visite sur la Terre. Et un de ces portefeuilles qu’ils utilisent à la surface. J’y mettrai de l’argent pour lui.
– Vais-je aller en Californie tout de suite ? demandai-je.
– Oui. Il y a des vols réguliers pour Seattle qui partent d’ici.
– Et si je veux revenir parmi vous ?
– Une chose à la fois. Nous en parlerons en temps voulu. Le tailleur va d’abord te vêtir. Je t’attendrai ici.
Je rejoignis mon guide en jean, avec un pull bleu clair et une veste bleu marine, et me sentis un peu mal à l’aise à la vue de la robe de Mannul qui lui tombait sur les chevilles. Mais en même temps, je me sentais très bien et incroyablement heureux de rentrer chez moi pour retrouver mes proches tant aimés. Mannul me tendit un portefeuille plein à craquer, contenant également mon passeport. Je n’ai aucune idée de la façon dont il se l’était procuré.
– C’est un nouveau passeport que nous avons fait à la façon de ceux de la surface. Tu croyais que nous ne savions pas ce dont tu as besoin pour être en règle avec la loi ?
Eh bien, de toute évidence, j’étais le seul à ne pas avoir vu si loin. Je suivis Mannul, mon sac à dos bien lourd sur le dos. Nous traversâmes la pittoresque ville de Telos et atteignîmes un tunnel. Quelques petits véhicules s’y trouvaient et nous montâmes dans l’un d’entre eux. Mannul appuya sur quelques boutons, et il démarra immédiatement.
– N’abandonne pas, même si les gens sont méchants, me mit-il en garde. Et si, contre toute attente, tu rencontres une Terrienne, parle-lui de nous. Elle ne pourra te suivre ici que si elle te croit.
– Je voudrais peut-être en final rester chez moi, lui répondis-je. Ma mère pourrait avoir besoin d’aide. Elle ne vit que grâce à sa pension de veuve, et ça ne va pas bien loin.
– Je vais demander conseil aux étoiles, me dit Mannul, en me regardant d’un air avisé. Il faut que tu reviennes, au moins pour faire un rapport à Arniel. Si tu veux retourner à la surface par la suite, nous en discuterons à ce moment-là. Je ne pense pas que ce soit ce que les étoiles aient choisi pour toi.
– Quelles étoiles ? demandai-je, en regardant l’intérieur du tunnel. Il n’y avait qu’une faible lumière vacillante provenant d’une ou deux lanternes. Mannul se mit à rire et le tunnel devint beaucoup plus lumineux.
Notre véhicule s’arrêta devant un long escalier. Je pris mon aimable compagnon dans les bras pour lui dire au revoir, puis commençai à monter les marches. Mes pas s’accéléraient au fur et à mesure que je montais. Finalement, j’atteignis une plateforme ; une porte en fer s’ouvrit sur ce que je considérais à l’époque comme étant la Vie. Je marchai lentement sur le flanc de la montagne, sous la pluie et le vent. Le Mont Shasta vit à nouveau un petit humain quitter son étreinte sombre pour se frayer un chemin à tâtons, vers ce qu’on appelle la réalité.
4. Triste nouvelle à Seattle
Je ne me souviens pas être descendu du Mont Shasta, mais au pied de la montagne se trouvait une petite ville, avec des motels et des magasins. De là, je pris un bus et un taxi pour me rendre à l’aéroport le plus proche. Je me suis rapidement retrouvé installé dans un siège confortable sur un vol pour Seattle.
Lorsque l’hôtesse de l’air arriva avec son chariot de boissons, j’étais en train de penser à ma mère et à ma sœur, et une larme coulait lentement sur ma joue. Je me souvenais de ma mère comme d’une femme très belle, assez grande, aux cheveux blonds bouclés, avec quelques mèches grises qui entouraient son visage lisse et légèrement rosé, et ses yeux comme des violettes. Ma chère mère n’était pas seulement attirante, elle était sensible, chaleureuse et aimante !
Et ma sœur cadette, rouquine et malicieuse, dont on peut être fier, mais qui avait encore besoin de la protection d’un frère aîné. Elle était toujours partante pour des plans quelque peu dangereux avec ses amis. Quand j’ai quitté la maison, elle avait dix-sept ans et était déjà beaucoup trop populaire auprès des garçons. Ma famille était tout pour moi, et elle me manquait énormément.
Plus je me rapprochais de la maison, plus je m’inquiétais. J’arrivais, bien sûr, avec un portefeuille bien rempli, ce que je devrais expliquer. J’étais bien habillé et bien plus sage que lorsque j’étais parti. Mais on ne gagne pas d’argent en haute mer. Il me fallait donc inventer une histoire avant que je n’ose dire la vérité. Puis je me souvins, qu’en fait, c’était la vérité que j’étais venu dire, et, en soupirant, je finis le copieux repas qui m’avait été servi dans l’avion. À mon grand soulagement, ce n’était pas du bœuf, mais du poulet finement tranché, accompagné de beaucoup de légumes. Après un régime végétarien, l’estomac ne réagit pas forcément bien à ce que nous appelons la nourriture normale, surtout la viande.
Je connaissais bien l’aéroport de Seattle, ville côtière, et notre maison se trouvait près du grand port où étaient amarrés les cargos. Notre maison, comme beaucoup d’autres dans la région, avait sa propre jetée. En descendant du taxi de l’aéroport, je me mit à siffler la plus belle mélodie que je connaissais. Quel sentiment formidable ! J’étais de retour à la maison de mon enfance bien-aimée.
Je sonnai à la porte. J’embrassai la poignée de porte et sonnai à nouveau. J’utilisai le code spécial que ma sœur et moi utilisions, mais personne ne répondit. Ma mère et ma sœur étaient très certainement sorties et je n’avais pas la clé. Puis j’entendis une voix de femme que je reconnus. C’était la gentille dame d’à côté, connue sous le nom de Big Tillie. Je me retournai et elle était là.
– Est-ce vraiment Timothy Brooke ? Tu ne t’es pas noyé ? Es-tu un fantôme ?
– Non, je suis en vie et en pleine forme. Je ne me suis pas noyé comme les autres. Je n’ai pas eu la chance de pouvoir contacter ma famille. Sais-tu où elles sont ?
Je crus que Tillie allait s’évanouir, et je mis mon bras autour de ses épaules pour la soutenir. Elle éclata en sanglots.
– Tu es parti depuis trois ans, renifla-t-elle. Ta mère et ta sœur sont toutes les deux mortes. Ta sœur s’était mariée en secret juste avant que la terrible nouvelle n’arrivât. Elle est morte en accouchant, six mois après son mariage. Ta mère est tombée malade après avoir appris votre naufrage et est décédée quelques mois plus tard. Je pense que c’est à cause du chagrin qu’elle avait, après avoir perdu toute sa famille. La maison est en vente depuis longtemps, mais elle n’a pas été vendue, donc je suppose qu’elle est à toi. Ton beau-frère, Bertie, a déménagé à Vancouver. Je pense qu’il s’est remarié.
« J’ai l’adresse de l’avocat de ta mère. Tu dois savoir si elle t’a laissé quelque chose. Viens chez moi et je vais te faire du thé qui te revigorera un peu. Tu peux rester ici jusqu’à ce que tu puisses t’organiser. »
J’ai suivi ma bienveillante et chère Tillie. Une main glaciale me serra le cœur. Je n’avais plus de famille. Il n’y avait plus que moi. J’étais la personne la plus seule au monde. Je me suis effondré sur le canapé de Tillie et ai pleuré. Cette fois, ce n’était pas des larmes de bonheur. Je m’apitoyais sur mon sort, même si je savais que cela ne servirait à rien, mais j’étais accablé par le chagrin. Et malgré toutes ces mauvaises nouvelles, j’avais encore une mission difficile à accomplir.
Tillie m’aida beaucoup. Elle appela tout de suite l’avocat, et je pris un taxi pour récupérer les clés de la maison. Il n’avait pas pu vendre la maison ne pouvant prouver qu’il n’y avait plus aucun héritier. L’avocat ne s’était pas pressé d’enquêter. Il semblait soulagé que je me sois présenté et que Tillie puisse se porter garante. Ainsi avais-je un toit sur la tête.
Ce fut bizarre d’entrer dans la maison vide. Mon ancienne chambre était poussiéreuse et mal rangée, tout comme je l’avais laissée. La chambre de ma petite sœur avait changé. Il y avait des affaires de bébé, ainsi qu’un berceau – probablement notre ancien berceau. Il y avait un petit gilet pour bébé inachevé sur la table. Sans doute l’œuvre de ma mère.
Je me suis assis dans le chaleureux salon avec sa grande cheminée et me suis demandé ce que je devais faire. Devais-je vendre la maison ou la garder comme une sorte de sanctuaire ? Je décidai de la garder pour l’instant, jusqu’à ce que mon voyage commence. J’allumai un feu, et m’assis dans le fauteuil de mon père pour m’y endormir.
Tillie et son mari étaient formidables. Harry, dont je me souvenais être plutôt taciturne et morose, était presque trop aimable. Il me tapa dans le dos et me souhaita la bienvenue. Le couple possédait une poissonnerie tout près, qui marchait très bien. Ils vivaient confortablement.
Tillie ne voulait pas que je cuisine et elle m’apportait régulièrement de délicieux plats. Quand c’était du bœuf ou du porc, je devais le jeter. Après ces années (qui me semblaient n’être que des jours) passées à Telos avec une nourriture strictement végétarienne, je ne pouvais plus manger de viande.
Un jour, après ce que je considérai comme des vacances pendant lesquelles je m’étais recueilli sur les tombes de ma famille et avais fait des promenades dans les champs et les bois avoisinants, je m’étais assis et me mis à parler tout seul dans la cuisine. « Si seulement je savais par où commencer ! » soupirai-je.
Tillie, qui faisait ma lessive dans une bassine dans la pièce voisine, intervint immédiatement. « Et tes vieux amis ? Je sais ! Je vais appeler le journal local et leur dire que tu es revenu d’entre les morts. Non, ‘Ressuscité d’entre les morts’ sonne encore mieux ! »
– Oui, mais les personnes qui se présenteront seront probablement celles que je veux voir le moins, protestai-je. Il y en a quelques-uns qui auraient préféré que je me noie, et je sais exactement qui ils sont.
J’avais déjà parlé de Telos à Tillie et Harry. Ils avaient réagi à mon histoire d’une façon très simple. Harry avait éclaté de rire, m’avait frappé dans le dos en s’exclamant : « Tu racontes des histoires aussi bonnes que celles de ton père, mon fils ! » Tillie n’avait alors pas fait de commentaire sur mes propos, mais m’avait confié combien j’avais manqué à ma mère et combien elle avait été affectée par le naufrage. Ses propos ne m’avaient pas vraiment enjoué.
Mais Tillie avait raison. Elle appela le journal, et il ne fallut pas longtemps pour qu’un journaliste se présentât. J’avais prévu de dire la vérité à la journaliste, une dame d’âge moyen aux cheveux courts et ternes. Elle m’écouta attentivement, prit beaucoup de notes et me posa des questions sur mon enfance. Cela me rendit suspicieux, mais je continuai néanmoins à lui parler de Telos.
Imaginez ma surprise et ma consternation lorsque l’article parut quelques jours plus tard, accompagné d’une grande photo de moi avec la mer en arrière-plan. L’histoire de mon enfance était à peu près telle que je l’avais racontée, mais ma visite à l’intérieur de la Terre fut attribuée à une commotion cérébrale que j’avais soit-disant subie lors du naufrage du navire en me cognant la tête sur un rondin. C’était surtout parce qu’elle ne voulait pas se mettre à dos ses lecteurs. C’était un article horrible, mais qui remplit son rôle.
Il y eut des appels téléphoniques le jour même de mon apparition dans le journal. L’un d’entre eux me ravit. Mon meilleur ami d’école, Matthew, voulait me retrouver le plus vite possible. Il était encore à Seattle. Il était dentiste et m’invita à dîner avec sa famille. Il était marié et avait une petite fille. Je m’y rendis dès que possible.
Matt et moi nous sommes serrés l’un contre l’autre. Il était aussi grand que moi, mais plus trapu, et ses cheveux roux commençaient à se clairsemer. C’était à cause de ses cheveux que nous l’appelions ”Matt Roux”. Il avait toujours des taches de rousseur et ses yeux étaient toujours aussi gris et vifs. Son ventre était plus rond, me laissant penser qu’il était heureux.
Sa femme, bien que manifestement enceinte, était aussi jolie qu’une poupée, avec des yeux marron et des cheveux bruns frisés. Leur petite fille avait hérité des cheveux roux et des taches de rousseur de son père. Elle était déjà très jolie, et elle le serait encore davantage plus tard. Mes pensées allèrent à ma sœur rousse et indisciplinée, et je soupirai profondément.
Matt et sa famille vivaient dans une assez grande maison avec un joli jardin. La pluie incessante de Seattle tombait délicatement du ciel, formant de petites flaques sur les feuilles. Je me sentais enfin chez moi.
– Eh bien, où étais-tu ces trois dernières années ? demanda Matt alors que nous étions assis sous le porche, buvant un verre. L’article de journal était un vrai ramassis de foutaises, n’est-ce pas ? La Terre ne peut pas être creuse, même si notre prof de géographie plaisantait en disant que c’était le cas.
– On peut en parler après le dîner ? demandai-je en guise de réponse. Je ne suis pas sûr que vous allez me croire.
C’est alors que j’eus la même sensation étrange et inexplicable que j’avais éprouvé plusieurs fois depuis mon retour à la maison. C’était comme une chaleur intense qui me traversait, accompagnée de lumières qui clignotaient devant mes yeux. Je savais que c’était Mannul qui envoyait cette énergie. Lorsque nous nous étions faits nos adieux au portail du Mont Shasta, j’avais ressenti cette même sensation.
Alors j’entendis la petite Éléonore s’exclamer : « Ta tête est lumineuse ! » La fille de Matt, qui se tenait à mes côtés, regardait ma tête, intriguée. Elle avait quatre ans. Matt s’était marié avant que notre bateau ne coule.
– Venez manger ! C’est prêt ! nous appela Nancy, la femme de Matt.
Je pris la main d’Éléonore et suivis Matt dans la salle à manger. « Je crois que c’était une lampe du porche qui brillait derrière ma tête », chuchotai-je à l’enfant, qui pinça les lèvres et hocha la tête.
– Il y a un grand homme derrière toi, poursuivit l’enfant. Il dit qu’il est ton ami, mais il ne veut pas me dire son nom. Tu es suédois, n’est-ce pas ?
– Oui, je suis à moitié suédois et à moitié d’ici. Je souris, heureux de changer de sujet. La fille de Matt était manifestement clairvoyante, et je décidai de le lui dire après le dîner. Il ne devait pas la laisser en avoir peur, c’était un don. C’était un cadeau rare et merveilleux, qui pouvait également facilement devenir un fardeau.
Nancy était une bonne cuisinière, et nous mangeâmes un délicieux plat de poisson, puis du pudding au citron qui fondait dans la bouche. Lorsque nous fûmes assis dans le salon, et après que Nancy eut emmené sa petite fille à l’étage pour la mettre au lit, Matt me demanda : « As-tu fait savoir à ta grand-mère que tu es en vie ? »
J’eus alors un coup de chaud, puis un coup de froid. Ma grand-mère bien-aimée ! Comment avais-je pu l’oublier ? J’étais à la maison depuis presque une semaine ! Ma grand-mère vivait en Suède, en Dalécarlie, dans un village appelé Floda. C’était une vieille dame étonnante, dans les 70 ans, toujours intéressée par le surnaturel, qui racontait l’avenir avec des cartes, et autres choses de ce genre.
– Fais-le demain à la première heure ! insista Matt, voyant ma confusion. Je réalise que tu as vu des choses étranges, mais tu sembles aller plutôt bien, pas malade ou émacié. Les expériences inhabituelles peuvent être déroutantes et peuvent faire perdre la mémoire. Raconte-moi tout ça !
– Je vais aller la voir, lui dis-je sincèrement. Ma grand-mère, je veux dire. Elle me croira. Je vais te raconter mon histoire et te laisser te faire ta propre opinion sur ce que je vais dire. Mais je suis absolument sain d’esprit et en bonne santé.
Je racontai mon histoire à Matt. Il nous resservit du café et du cognac, mais ne dit pas un mot. Ses yeux gris s’étaient élargis et cela me rappela les fois où, quand nous étions enfants, nous faisions des bêtises. Je n’omis aucun détail au sujet de Telos. J’avais presque fini quand Nancy vint s’asseoir avec nous. Je me suis alors tu, regardant de façon insistante mon vieil ami.
– Eh bien, qu’est-ce que tu en penses ? lui demandai-je. Matt se gratta la tête et sourit.
– Je te crois, Tim, dit-il après une brève pause, tandis que Nancy nous regardait chacun notre tour d’un regard interrogateur. Je te crois, avec des réserves. Demain, c’est dimanche. Je passerai vers 10 heures et on pourra aller se promener et discuter de tout ça.